Le nutriscore de la réforme des retraites

Le nutriscore de la réforme des retraites

3 February 2020 Off By Débat Retraites

Respect du dialogue social

Deux ans de concertation ont conduit à un front syndical contre tout ou partie de la réforme. Le mouvement social engagé contre la réforme des retraites est le plus long depuis 1968. Les concertations encore en cours, comme la conférence de financement, sont très strictement encadrées par le gouvernement. Sur le fond, la gouvernance même de la future Caisse nationale de retraite universelle va affaiblir grandement le paritarisme.

Respect du débat parlementaire

Alors que le gouvernement travaille sur le projet depuis près de trois ans, l’Assemblée nationale a été saisie de la réforme le vendredi 24 janvier à 16h00 et n’a eu que quelques jours pour lire, comprendre, apprécier 1500 pages d’une très grande technicité (étude d’impact, loi organique, loi ordinaire, avis du Conseil d’Etat) et y apporter des amendements. De plus, le projet de loi dont elle est saisie comporte le renvoi à 29 ordonnances et plus d’une centaine de décrets portant sur des aspects essentiels de la réforme. Plus pervers encore que les clauses écrites en tout petit des polices d’assurance, le texte à trous que le gouvernement demande d’adopter ne permet pas à la représentation nationale d’apprécier en conscience les tenants et les aboutissants de la réforme. Enfin, la majorité a refusé à l’opposition la nomination d’un « rapporteur d’application » qui aurait eu dans ses prérogatives de pouvoir mener une évaluation de la qualité de l’étude d’impact et a choisi une procédure accélérée d’examen du texte.

Qualité de l'étude d'impact

L’étude d’impact a fait l’objet d’un avis très sévère du Conseil d’Etat qui a constaté par exemple que les projections financières transmises restaient lacunaires et que, dans certains cas, cette étude restait « en deçà̀ de ce qu’elle devrait être ». Très incomplète, elle ne permet pas d’apprécier correctement les conséquences de la réforme, de faire des projections sérieuses, d’en mesurer les conséquences macroéconomiques (sur l’emploi, le chômage, la dépense publique, le PIB…), d’évaluer les modalités des périodes de transition… A cela il faut ajouter des hypothèses économiques fantaisistes, voire carrément trompeuses, des cas types tronqués, voire truqués, qui ne permettent à personne de savoir ce qu’il adviendra de sa pension. Le gouvernement promettait plus de simplicité et de clarté… on est dans le brouillard le plus épais.

Evolution des pensions

La part de richesse consacrée au financement des retraites va baisser alors que le nombre des retraités va augmenter de façon importante (le nombre des personnes de plus de 65 ans va augmenter de 70% d’ici 2070). Le taux de remplacement des pensions va donc diminuer fortement et le niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs, aujourd’hui à parité, va baisser d’environ 20% en 2040. 40 ans de progrès vont ainsi être gommés, le niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs va retrouver le niveau des années 1980. De plus, avec l’âge pivot, il va falloir travailler plus longtemps ou baisser sa pension. Cet âge pivot va augmenter dans le temps pour atteindre 66 ans pour la génération née en 1990 ou 67 ans pour celle née en 2005.

Dignité des pensions

La retraite minimale sera portée à 85% du SMIC ; bonne nouvelle… enfin presque : 1/ il faudra travailler jusqu’à 64 ans (65 ans à partir de 2037) pour en bénéficier alors que la pension minimale est aujourd’hui liquidée à 62 ans ; 2/ ce minimum retraite, indexé sur l’inflation une fois versé, va décrocher pour ne représenter que 70% du SMIC au bout de 20 ans de retraite ; 3/ la part des retraités touchant cette retraite minimum va exploser pour représenter 30 % de la population et même 40% des femmes, pas vraiment un progrès ; 4/ la loi ne sera pas rétroactive, les retraités agricoles qui vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté vont continuer d’y vivre…

Prise en compte de la pénibilité

Il y a 13 ans de différence d’espérance de vie entre les 5% de Français les plus aisés et les 5% de Français les plus modestes, 6 ans entre un cadre et un ouvrier. Le président de la République n’aime pas le mot « pénibilité », c’est sans doute pour cela qu’il a exclu en 2017 du bénéfice du Compte pénibilité les travailleurs du BTP, l’essentiel des ouvriers de l’industrie, les caissières ou les égoutiers… La loi ne rétablit pas les 4 critères supprimés par le gouvernement (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux). Donc pour toutes ces personnes, pas de départ avant 62 ans et pas de modulation de l’âge pivot. Et pour celles qui pourront prétendre à un départ anticipé du fait des critères de pénibilité, pas de départ avant 60 ans, et l’âge pivot ne sera baissé que dans la même proportion que l’âge légal de départ, donc la décote s’appliquera. Seules les personnes invalides verront leur âge pivot rejoindre leur âge de départ effectif… Les avancées pour la fonction publique sont insuffisantes à compenser les reculs déjà accomplis depuis deux ans ainsi que la sortie des « catégories actives » notamment des aides-soignantes prévue par ce projet de loi. Enfin, il faut signaler 1/ un recul important s’agissant des carrières longues : si elles peuvent partir à 60 ans, c’est avec une décote de 10% de leur pension. 2/ la suppression dans la fonction publique des catégories actives qui conduit à cette situation étonnante : les aiguilleurs du ciel pourront partir à la retraite avant les infirmières…

Egalité femmes-hommes

Les femmes grandes gagnantes ? Le gouvernement a beau dire, les femmes sont celles qui connaissent les carrières les plus hachées avec des périodes de chômage et du temps partiel subi. Le calcul des pensions sur toute la vie et non plus sur les 25 meilleures années va les pénaliser, 40% d’entre elles seront au minimum de pension. De la même manière, avec le recul de l’âge pivot et la décote, les mères seront perdantes sauf à travailler plus longtemps. Quant aux droits familiaux et conjugaux, ils sont soumis « à la négociation conjugale » alors qu’ils devraient d’abord bénéficier aux femmes.

Justice de la réforme

La réforme sera plus juste disent les « éléments de langage » du gouvernement. Vraiment ? Pourquoi, par exemple, la loi prévoit-elle de durcir les conditions pour se créer des droits à la retraite lorsque l’on est au chômage d’un côté et de l’autre, baisse de 27.000€ à 10.000€ / mois le revenu soumis à la cotisation de 28,10%, rendant ainsi aux 1% de Français les plus riches entre 4 et 5 milliards € de cotisations chaque année ?